Vœux du MOC Charleroi-Thuin, 27 janvier 2023

Vœux du MOC Charleroi-Thuin, 27 janvier 2023

Discours d’ Adeline Baudson, Secrétaire Fédérale.

« Résister ce n’est pas seulement une question de lutte. Résister, c’est aussi et surtout créer.  »

Miguel Benasayag

Chères amies, chers amis,

Bonsoir,

Je suis heureuse de vous accueillir ce soir, heureuse de nous voir réunis et si nombreux, car la dernière fois que nous avons énoncé les vœux du MOC « en présentiel », c’était avant que ce mot « présentiel » n’existe dans nos vies… c’était un 27 janvier aussi mais en 2020.

La pandémie du Corona Virus nous a empêchés par deux fois de nous réunir et nous avons maintenant un loooong bilan à tirer !

Long et douloureux bilan.

Ce n’est pas une crise que nous avons traversé, mais 2, 3, 4, 5 crises qui se cumulent maintenant.

1ère crise : la Covid 19, cette pandémie meurtrière et son cortège de conséquences sociales dramatiques : isolement, aggravation des inégalités et de la pauvreté, du chômage, des violences conjugales…

Bon nombre de travailleuses et de travailleurs ont dû fonctionner à flux tendu alors qu’ils étaient déjà soumis à une flexibilité à outrance, des statuts précaires, de faibles revenus ou touché par le manque de sens dans leur travail.

La crise sanitaire a aussi eu un impact particulier sur la vie des femmes. Majoritaires dans les métiers du soin, mais aussi dans les magasins, ou aux domiciles des gens, les femmes ont été en première ligne lors de la crise sanitaire.  Applaudies pour leur travail essentiel, ces femmes ont pourtant été sous-rémunérées, dévalorisées et, privées de toute protection sanitaire. En avril 2020, durant le premier confinement en Belgique, 62% des cas confirmés de Covid étaient des femmes contre 38% des hommes.

De cette 1ère crise, qui en a été l’amortisseur principal ? notre sécurité sociale. Nous n’avons cessé de le rappeler en 2020 et 2021. Les soins de santé, l’assurance maladie et le dispositif de chômage temporaire ont joué un rôle déterminant pour que notre pays «tienne bon». Nos organisations se sont adaptées aussi pour rester aux côtés de nos membres et mettre en place des réponses collectives aux besoins.

L’Etat, de son côté, a joué son rôle comme il l’a pu, gestion de crise par un gouvernement de crise, mesures exceptionnelles et temporaires. Le Plan de Relance Européen a, lui, amené l’espoir d’une reconstruction basée sur le long terme et prenant la pleine mesure des enjeux du 21ème siècle, espoir douché par la crise suivante et la réduction des moyens qui est allée de pair :

2ème crise : Les inondations de 2021 et la sécheresse de 2022 nous ont brutalement rappelé l’urgence climatique et l’effondrement de la biodiversité. On va dans le mur, depuis des années, on le savait, mais nos Etats ne s’y préparaient pas. Le climat se dégrade plus vite que prévu, nous ne sommes pas prêts et les impacts du changement sont déjà violents. Les atermoiements de la Cop26 nous renvoient l’image de décideurs qui ne savent pas lâcher leurs intérêts territoriaux pour des intérêts mondiaux (je vise particulièrement les décideurs occidentaux).

3ème crise : l’envolée des prix et particulièrement ceux de l’énergie, gaz et électricité. Cette flambée des prix n’a pas attendu la guerre en Ukraine, elle était déjà là avant et nous appelions déjà fin 2021 à l’extension et la prolongation du tarif social ! Les enjeux internationaux masquent le fait que la précarité énergétique et la crise du logement étaient déjà maximales avant la guerre et les mots pour la décrire aujourd’hui nous manquent tant la situation est devenue catastrophique. Quand va-ton plafonner les prix de l’énergie ?

Logement, chauffage, alimentation, carburant, énergies … Les augmentations de prix sont partout, mais les revenus n’augmentent pas à la même vitesse, les hausses de salaires étant limitées par la loi sur la norme salariale. Même dans les entreprises qui engrangent d’importants bénéfices, la loi empêche les syndicats de négocier plus. Les métiers dits essentiels se retrouvent de nouveau en crise. Les salaires sont dès lors trop faibles pour permettre à tous les ménages de remplir leur caddie et de payer leurs factures.

4ème crise : une crise internationale, une guerre aux portes de l’Europe, une guerre injuste et meurtrière qui laisse craindre une nouvelle guerre mondiale.

5ème crise, qui est en fait une conséquence de toutes les précédentes : la migration. Les guerres, l’insécurité mondiale et aujourd’hui les bouleversements climatiques engendrent des mouvements de population. Nombreux sont celles et ceux qui cherchent refuge dans notre Europe riche et fière, nombreux sont celles et ceux qui se heurtent encore et toujours à nos frontières, nos murs et barbelés. Les sans-papiers en Belgique ont appelé en 2021et 2022 à des critères clairs de régularisation, ils ont fait une longue grève de la faim, soutenus et accompagnés par une société civile présente et active auprès du gouvernement. Malgré les promesses, ils n’ont rien obtenu. Ne parlons pas de l’accueil déplorable offert (ou non offert) par la Belgique aux demandeurs d’asile, aux personnes sans-papiers, étudiants, femmes, enfants, jeunesse abandonnée…, 1000 personnes dans un squat de Bruxelles, la Belgique condamnée plus de 7000 fois et qui ne donne pas suite à ces condamnations !

Où est l’Etat de droit dès lors que notre pays ne respecte pas ses obligations fondamentales et ses engagements internationaux ?

Mais on parle de crise, j’en mets ici en 5 évidence, on pourrait en évoquer d’autres encore…

Que veut dire « crise »? Cela fait 40 ans que l’on entend dire que notre société est en crise. Peut-on s’habituer à une société dite « en crise » en permanence ? NON.

Une crise est une phase, un passage vers quelque chose, quelque chose de possiblement radicalement différent, mais ce n’est pas un état à durée indéterminée. Ces situations de crises infinies plongent les populations dans un désarroi gigantesque, engendrent peur et méfiance.

Peur de l’avenir et méfiance de tout ce qui reflète ou émane des institutions (méfiance envers les politiques, envers les services publics, même envers nous, les corps intermédiaires).

« Le futur, le lendemain, relevant jusqu’alors du domaine de l’espoir, s’est tragiquement transformé en une attente angoissée face à un horizon » menaçant[1].

Ces peurs plongent toutes les sociétés et les nations dans la menace de l’obscurantisme. Pour se rendre compte du désastre collectif, il suffit de regarder le monde et le nombre d’Etats où l’extrême droite prolifère et devient « respectable » au point de prendre le pouvoir : Italie, Etats-Unis, Brésil, Hongrie,… et plus proche de nous la force du Front National en France et du Vlaams Belang en Flandre.

Pourquoi cette méfiance qui pousse les gens à se tourner vers les idées les plus noires ? parce qu’au fond de la plupart d’entre nous, il y a ce petit quelque chose qui ne va plus,  il y a le sentiment diffus de ne plus faire partie de la société mais d’en subir quand même les conséquences négatives, au fond de beaucoup de cœurs, il y a la perte du contrat social.

C’est quoi le contrat social ? le contrat social, c’est un contrat passé entre l’Etat et ses citoyen.ne.s : c’est accepter de perdre certaines libertés contre le gain de lois qui nous protègent, c’est accepter de contribuer par l’impôt en échange de services publics, c’est reconnaître le pouvoir en échange de sa protection.

Il ne peut pas y avoir de contrat social sans confiance ! Sans confiance en le magistrat, je n’irai pas en justice ; sans un minimum de confiance en mon propriétaire, je ne lui louerai pas son bien, sans un minimum de confiance en l’Etat, je ne peux pas accepter les élus comme représentants du peuple… Or beaucoup diraient plutôt, je vais en justice, je loue une maison, je vote… parce que je n’ai pas le choix. Quand les inégalités explosent, la confiance n’est plus là. Le contrat n’est plus rempli. Le contrat social n’est plus incarné.

Parce que pour qu’il y ait contrat social, il faut 3 conditions[2] :

  1. Un Etat souverain : nos Etats sont-ils encore souverains dans leurs décisions ? Quand la Belgique attend de l’Europe qu’elle plafonne les prix de l’énergie à notre place ? Quand un Etat se cache derrière le règlement de Dublin pour ne pas accueillir les migrants, que fait-il de sa souveraineté ? Quand les règles européennes d’orthodoxie budgétaire, de rentabilité et d’efficacité financière étrangle les marges de manœuvre et empêche de donner des réponses adéquates en temps de pandémie, l’Etat est-il encore souverain ? si nous n’avons pas un Etat souverain et capable de décider, nous n’avons plus de partenaire dans le contrat social.
  2. Un Etat interventionniste et redistributeur : le cortège de mesures d’austérité qui accompagne les crises successives ne redistribuent pas équitablement les richesses ; la réduction de certains droits sociaux non plus. L’actuelle réforme des pensions, par exemple, dit qu’elle va « tenir compte des inégalités entre les hommes et les femmes”. Mais les projets sur la table ne tiennent pas compte, par exemple, du congé parental, du crédit-temps, du congé de naissance, du temps partiel avec maintien de droits et AGR (allocation de garantie de revenus), dit autrement, ce projet de réforme des pensions méprise les réalités, les conditions de travail et les carrières des femmes. Si l’Etat ne redistribue pas équitablement, il n’y a plus de contrat social.

La Mutualité Chrétienne aime aussi à nous le rappeler : le contrat social, c’est une société qui prend soin de ses membres. Prendre soin ! Or, la Mutualité mesure que « l’état de santé s’est considérablement dégradé et un risque de surmortalité important existe chez les personnes qui résident dans les zones géographique le plus défavorisées ». Première ligne, soins dentaires, santé mentale, hospitalisation… les écarts se ressentent à tous les étages du soin. Mais « ces écarts de santé sont évitables par des politiques de lutte contre les inégalités économiques ». Il est temps que la Belgique remonte dans le classement des investissements en prévention à la santé (nous sommes 24ème sur le 27 pays de l’OCDE)!

  • Un espace public démocratique, c-à-d des politiques publiques débattues et qui intègrent les propositions résultantes de ce débat. Or, la concertation sociale a du plomb dans l’aile et le débat démocratique est entaché par toute une série de scandales dont tout le monde (politique compris) se serait bien passé. Sans démocratie et confiance en celle-ci, il n’y a plus non plus de contrat social possible.

Ces 3 conditions ne sont plus remplies. Si l’Etat ne remplit plus sa part du contrat social, alors le citoyen, la citoyenne non plus.

Bon.

Qu’est-ce qu’on fait ?

On continue.

On continue, ce que nous avons toujours fait, nous, mouvements sociaux, corps intermédiaires, société civile : se battre, avancer, débattre, construire ensemble des alternatives, des modèles plus redistributifs, équitables, justes, des modèles qui permettent le contrat social.

Comme le dit la CSC depuis un an maintenant, « le monde d’après, c’est maintenant ! »

La CSC bat campagne autour de six enjeux majeurs : les fins de carrière, la transition écologique, l’inclusion numérique, la valorisation des métiers essentiels, l’articulation vie privée-vie professionnelle, l’emploi des jeunes.

Pour cela, notre force sera toujours nos affilié.e.s qui peuvent témoigner de leurs difficultés de travailleurs-euses, et restent mobilisés.

La Mutualité Chrétienne, de son côté, a entamé ces 3 dernières années la fusion des mutualités en une seule entité pour l’ensemble de la Belgique. 2023 verra l’aboutissement du travail de réorganisation avec une nouvelle offre de contact pour les membres et la mise en place de centres de compétences et de processus de travail identiques que l’on soit à Arlon, Liège ou dans notre région. La défense de notre système de santé en vue d’une meilleure qualité de vie pour chacun sera au cœur de l’action de la mutualité Chrétienne, sur le terrain avec tous ses bénévoles.

Vie féminine salue de son côté la récente loi sur les féminicides, victoire féministe sur un combat de longue date et qui permettra de garantir des droits aux victimes de violences de genre : pouvoir faire traduire l’interrogatoire dans une autre langue, pouvoir choisir un agent de police du genre de son choix et formé.e, recevoir de l’information sur les mesures de protection, déposer plainte en ligne… La Belgique dénombrait 24 féminicides en 2022, dont 6 à Charleroi. Le sexisme tue toujours !

Dès lors, Vie féminine veillera à ce que ces mesures soient respectées sur notre territoire et particulièrement à Charleroi, Ville qui a voté un plan d’action pour l’égalité des femmes et des hommes. En parlant de Charleroi, Vie féminine continue en 2023 de travailler à la création d’un abri de nuit pour femmes dans notre région où elles pourront être accueillies dignement.

Nous vous invitons d’ailleurs à venir faire grève avec nous le 8 mars, journée de lutte pour les droits des femmes, à nous rejoindre dans l’espace public pour rendre visible ce qui reste encore invisible.

L’AID Soleilmont poursuit aussi et sans relâche son travail de formation des plus éloignés de l’emploi et pousse toujours plus loin les pratiques durables et sans produits phytosanitaires en parcs et jardins avec notamment la végétalisation des cimetières de Fontaine-l’Evêque, Biesme-lez-Appart et bientôt Thuin. L’AID Soleilmont, c’est aussi 300kg de légumes cultivés et fournis à notre coopérative d’insertion, le Café-restaurant Notre-Maison !

Ainsi encore, les Equipes Populaires avec leurs nombreux groupes d’action locale, les Jeunes Organisés Combattifs, toutes nos organisations et chacun de nous, au quotidien, dans chaque minute, chaque moment de nos vies, nous avons la puissance d’agir et de faire vivre nos valeurs. Dans chaque geste, nous pouvons choisir de dépasser l’individualisme, le racisme, le sexisme, le capitalisme et développer des pratiques solidaires et contestataires[3].

Refaire contrat social ne dépendra pas que de nous. Un contrat, c’est un accord passé entre plusieurs parties. Sans un Etat et donc des politiques qui repensent aussi le contrat social, ce n’est pas possible. Alors nous poursuivrons notre travail de contre-pouvoir pour rééquilibrer le contrat social, un réel contrat juste et redistributif.

Et être « un contre-pouvoir, ce n’est pas un mouvement « contre le pouvoir », c’est plutôt « au-delà » de la logique de pouvoir : (…) c’est créer les conditions nécessaires au changement depuis le seul endroit où nous sommes puissants, à savoir dans chaque situation que nous habitons »[4].

Nos organisations ne doivent ainsi jamais cesser, dans chaque situation qu’elles vivent, dans chaque situation où elles sont de rassembler, d’analyser, d’agir… créer : créer des alternatives solidaires, vivre et façonner des modèles de société qui portent et sont agies par nos valeurs communes.

En 2023, ensemble nous poursuivrons solidairement notre combat pour un monde plus juste, pour une vie digne, pour un travail juste !

Alors en 2023, nous souhaitons que nos représentants politiques et leurs partis travaillent aussi pour nous !

  • pour des augmentations de salaires bruts.
  • Le maintien de l’indexation automatique des salaires.
  • Un blocage des prix de l’énergie au niveau national.
  • L’élargissement de l’assiette fiscale pour faire contribuer tous les revenus et de façon progressive. Cela commence d’ailleurs par un obligatoire cadastre des fortunes !
  • Une réforme des pensions non sexiste.
  • Le retour aux formules de crédit-temps précédentes.
  • La non-extension des flexi-jobs.
  • Plus de prévention et d’éducation à la santé. Chaque ministre, chaque échevin, chaque membre d’un gouvernement doit avoir la santé comme élément transversal dans ses compétences.
  • Enfin, nous demandons l’individualisation des droits ! Nous le dénonçons depuis sa création, supprimons le statut de cohabitant et relevons les minimas sociaux !

Tant que les réponses ne suffiront pas, nous n’arrêterons pas !

Nous, mouvement ouvrier chrétien, poursuivrons ainsi notre travail de mouvement social, notre travail de vigilance politique, notre action de mobilisation de nos militants et affiliés pour créer et construire face aux terribles crises en cours un modèle différent.

Nous ferons le forcing, nous montrerons à qui doute encore qu’en MOC, nous pouvons faire bouger les choses.

Et je vous invite Vous les militantes et militants ! Vous les bénévoles ! Vous les femmes et hommes politiques ! Vous les travailleuses et travailleurs de l’associatif, des syndicats, des mutuelles ! à vous battre avec nous !

Pour le Mouvement Ouvrier Chrétien de Charleroi-Thuin,

Adeline Baudson


[1] Du contre-pouvoir, Miguel Benasayag et Diego Szulwark, 2010, Ed. La Découverte, p.11.

[2] Jean De Munck

[3] idem, p.VIII et IX

[4] Miguel Benasayag, Du contre-pouvoir, p.VIII

Comments are closed, but trackbacks and pingbacks are open.