Vœux du MOC 2024

Vœux du MOC 2024

Retour sur la soirée des vœux du MOC 2024 avec des photos et le discours de la secrétaire fédéral, Adeline Baudson.

« Ne doutez jamais qu’un petit groupe de citoyens engagés et réfléchis puisse changer le monde. En réalité, c’est toujours ce qui s’est passé…  » – Margaret Mead

Chères amies, chers amis, bonsoir,

Bienvenue à toutes et tous dans notre café-restaurant, notre coopérative d’économie sociale, bienvenue à Notre-Maison, la maison du MOC de Charleroi-Thuin, de ses organisations et de tous ses membres, travailleurs, militants, amies, amis !

Comme tous les ans, l’heure est venue de tirer un petit bilan et de jeter les perspectives pour l’année qui s’ouvre. Année 2024 particulièrement chargée, doublement élective (je pourrais dire quintuplement élective si l’on additionne tous les niveaux de pouvoirs) ou triplement élective si je prends en compte les deux scrutins à venir et les élections sociales. Car cela se jouera en même temps et la CSC compte bien devenir le 1er syndicat sur Charleroi-métropole comme c’est déjà le cas en Wallonie et en Belgique.

2024, une année élective pour laquelle nous nous préparons depuis de nombreux mois maintenant. Les mémorandums sont déjà sortis, ils circulent, ils ont été communiqués à tous les partis démocratiques. Les débats publics se préparent.

Nous misons maintenant sur deux choses :

  1. Un regain de démocratie et de participation aux votes.
  2. Du courage politique !

Pour cela, nous avons tous du pain sur la planche !

Pour nous, société civile, dans toutes nos actions, de préparations, d’explications, de mises en débat… de la question publique. Et du pain sur la planche pour la classe politique aussi, car une démocratie n’est réelle et effective qu’avec la confiance des citoyennes et des citoyens, confiance à reconquérir, confiance mise à mal, nous le savons, particulièrement sur notre territoire.

En effet, lors des dernières élections, l’abstentionnisme (j’entends par là le fait de ne pas venir voter et le vote blanc ou nul) avait avoisiné les 30% dans notre arrondissement et l’extrême droite (tous partis cumulés) pas loin de 10% aux communales à Charleroi. Aujourd’hui, un nouveau parti d’extrême droite se présente et s’organise à la faveur des réseaux sociaux. Quels résultats engrangera-t-il en 2024 ?

Nous savons que les 1ères cibles de l’extrême droite sont les étrangers, les migrants et les femmes, par le refus persistant de reconnaître leurs droits et de reconnaître ce qui les oppressent (racisme, patriarcat, capitalisme).

Nous savons que ce qui alimente la popularité de l’extrême droite et ses tentations pour plus d’autorité, c’est la peur, la méfiance et le désespoir. Au nord du pays, on peut constater que le Vlaams Belang cartonne dans les sondages, pourtant dans une région riche, en situation de plein-emploi. Ce sont les plus « sécurisés » de nos compatriotes qui réclament le plus de « sécurité ».

En Wallonie, par contre, depuis les années 90 et le retour de l’extrême droite, celle-ci s’est concentrée et déployée dans les anciens bassins industriels : Liège, Seraing, Mons, La Louvière et Charleroi. Des zones marquées par le déclin industriel et la difficulté à se redresser économiquement. D’ailleurs, vous pouvez admirer la magnifique exposition de photographies d’Eva Anthonis, exclusivement réalisées sur l’ancienne industrie de notre basse. C’est un très beau travail de mémoire.

Certains évoquent pour ces régions « la malédiction du charbon » : Tous les anciens bassins miniers d’Europe (même en Flandres) ont peiné et peinent encore à sortir du marasme entraîné par la fermeture des mines et des industries métallurgiques. Mais ce qui est particulier, c’est quand on regarde le niveau de qualification moyen de ces régions, chaque fois inférieur aux moyennes nationales. Comme si derrière la richesse produite et derrière le souvenir de ces années « glorieuses » économiquement, le sous-investissement dans la population avait été la règle : le peu d’égard pour les travailleuses et travailleurs qui ont contribué à cette richesse, pour leurs enfants, leurs faibles salaires, la pauvreté était le revers d’une médaille qui, une fois les industries parties, a durablement installé notre région dans la misère économique et sociale.

Pour le MOC, la régression sociale ne vient pas de la régression économique mais bien du désinvestissement dans les services publics et la culture. C’est le progrès social qui précède une économie florissante et non l’inverse. C’est bien en investissant dans la solidarité, dans le bien-être collectif, dans la santé des populations, dans l’enseignement… que l’économie se relèvera. Une économie utile à la collectivité et efficace a besoin d’une population heureuse, solidaire et en bonne santé. Or, on pense à l’envers depuis 40 ans. On pense que c’est l’économie et l’adaptation aux besoins du marché qui sauvera nos sociétés.

Aujourd’hui cependant les choses bougent sur notre territoire, les initiatives de Charleroi-Métropole, le BioPark, l’UCampus, les tentatives autour de la mobilité… et bien d’autres tentent d’inverser la vapeur. Mais les secteurs en croissance appellent justement de fortes qualifications, et la pénurie de certains secteurs masque le décalage toujours important entre le nombre réel d’offres d’emploi et le nombre de demandeurs d’emploi.

Charleroi-Ville, c’est toujours aujourd’hui 21% de chômage, Farciennes 23%, Chimay 14%, Momignies 13%, sur une moyenne régionale de 8,4%.

On estime à 60.000 le nombre d’illettrés sur le bassin de charleroi-sud Hainaut. Avec la capacité actuelles du secteur de l’alphabétisation et malgré ses récents refinancements, il faudrait 100 ans pour en venir à bout. C’est une façon de dire que nous avons dépassé depuis longtemps le cap de non-retour et la reproduction de l’illettrisme a de beaux jours devant elle…

La précarité des femmes aussi s’accentue avec la crise sociale et énergétique, plus encore pour les mamans seules ; la pauvreté fragilise leur autonomie, leur capacité d’émancipation et d’ascension sociale ; sans parler des 23 féminicides belges en 2023 qui témoignent du manque d’investissement pour une réelle protection.

Dans la botte du Hainaut, la pénurie de médecins généralistes conventionnés s’aggrave ; dans la région de Charleroi c’est 33% de la population qui n’a jamais vu un dentiste de sa vie ; Charleroi, c’est le plus bas taux de dépistage du cancer du sein ; Charleroi c’est enfin le pire taux de mortalité du pays. Des études récentes de la Mutualité Chrétienne montrent que nous avons 33% de « malchance » en plus que la moyenne européenne de mourir. Ces mêmes études nous expliquent que dans les déterminants de santé, 20% relèvent de notre capital génétique, 20% des soins de santé, les 60% restant relèvent de toutes les autres politiques (logement, alimentation, enseignement, culture, espaces verts…). Dis autrement, ce sont les politiques transversales de santé qui manquent, ce sont les soins de première ligne et la prévention, les métiers du collectif et du soin qui font défaut. C’est l’investissement dans la santé mentale, particulièrement auprès des jeunes (les JOC en témoignent régulièrement). Ce sont des emplois et des emplois de qualité, accessibles même avec des qualifications plus basses. Ce sont des services publics de proximité, des guichets ouverts physiquement. Car, comme dans les entreprises, où le rôle des délégués est indispensable pour garder du lien social et le développer. Là où il y a des services publics, là où les gens se croisent, se parlent, là où il y a du lien , l’extrême droite recule. Là où les gens sont seuls et isolés, c’est la peur qui regagne du terrain.

Bon. Ce discours est fort sombre.

2023 a pourtant été aussi une année de victoires, notamment :

  • L’abandon de la loi anti-casseurs
  • Des victoires dans des entreprises avantagées économiquement par la crise et où il existait des négociations
  • La concrétisation du Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée à Charleroi
  • L’obtention de 5 jours de formation par an par travailleur
  • Le vote de la loi sur la luette contre les féminicides

2023 a aussi été l’occasion pour le MOC de refaire Congrès. Notre fédération s’est très fortement impliquée dans le processus de Congrès. Nous y avons réaffirmé ensemble l’indispensable ancrage local du mouvement et de ses organisations.

Trois chemins prioritaires ont été définis dans ce Congrès :

  • Construire des alliances post-capitalistes
  • Travailler à une transition juste
  • Réaffirmer et agir pour une solidarité internationale

La posture anticapitaliste n’est plus à négocier chez nous. Le capitalisme et le néolibéralisme (son idéologie politique), ce sont la prévalence des intérêts privés sur les intérêts collectifs, c’est marchandiser tout ce qui existe, jusqu’aux idées (brevets, médicaments…), jusqu’aux soins donnés aux autres (ex : maisons de repos). Ce faisant, c’est toute notre démocratie que le capitalisme fragilise petit à petit, car une démocratie ne peut survivre à long terme sans faire prévaloir l’intérêt public sur l’intérêt individuel. S’affirmer dès lors post-capitaliste, c’est vouloir renforcer la démocratie et privilégier des biens communs, c’est la volonté de sortir d’une économie capitaliste pour construire une autre économie.

C’est à petite échelle renforcer l’économie sociale et solidaire (comme cette coopérative dans laquelle nous nous trouvons ou comme l’AID Soleilmont, entreprise de formation par le travail en horticulture), c’est développer des réseaux de jardins partagés comme le font les Equipes populaires ou développer des alternatives économiques comme le fait Vie féminine.

À plus grande échelle, c’est réduire collectivement le temps de travail (en commençant par 25 jours de vacances annuelles pour tous les travailleurs), c’est le rêve « un peu fou » des Equipes Populaires d’en finir avec la crise de l’énergie et d’enfin sortir de la libéralisation. Rêve un peu fou disent-ils ? Et pourtant, est-il si fou que ça de souhaiter que l’énergie et sa distribution reviennent au mains de la gestion publique ? Est-il si fou de penser que l’accès à l’énergie, l’eau, l’air, l’environnement, la santé … ne puissent être considérés comme des bien collectifs et en aucun cas remis aux mains du marché ?

Nous plaidons pour des tarifs raison­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­nables et justes, et un accès pour tou.te.s à l’énergie. Vous croiserez certainement en 2024 la « roue de la libération » des Equipes Populaires où serons récolté les besoins, les idées et les envies de citoyens à propos de l’ énergie.

Le post-capitalisme, c’est aussi envisager de partager le pouvoir de décision et donc la responsabilité des décisions avec les travailleurs. Pourquoi ? parce que dans les entreprises où il y a de la concertation sociale ; les conditions de travail et de rémunération sont meilleures.

Parce que dans un système où seul l’investisseur en capitaux décide, l’équilibre ‘capital-travail-planète’ est toujours défavorable aux travailleurs et à la planète.

À très grande échelle, régulons l’économie mondiale : osons contraindre, mettre des règles et des limites au nom de la collectivité. Le modèle actuel, ne tient pas suffisamment compte des externalités négatives de la production (ex : empreinte carbone d’une entreprise, exploitation de travailleurs pauvres, pollution, santé, etc.), ni des externalités positives (comportement vertueux d’une entreprise). Les entreprises qui produisent des externalités négatives (c-à-d qui ont un coût pour la collectivité) doivent supporter ce coût.

Réguler l’économie, c’est avoir le courage de mettre un cadre. Mais mettre des règles a un revers, celui de la contrainte et de la réduction des libertés.

Si je refuse de mettre des règles, je suis déjà un peu libérale. Et si j’ai peur de mettre des règles et que je fais appel à un externe pour les mettre à ma place, par exemple … le marché ? Les libéraux, en ce sens, auraient-ils peur d’organiser collectivement la société pour devoir s’en remettre à une entité extérieure ? Manqueraient-ils finalement de courage pour oser collectivement créer un cadre régulateur et préserver la démocratie ?

J’appelle au courage politique : mettre des règles, mais toujours au nom du bien commun. Car attention, qu’on ne se méprenne pas. Entre régulation et liberté, on peut facilement basculer dans la tentation dictatoriale. C’est le fragile et difficile équilibre des démocraties.

Sur la question du numérique, autre cheval de Troie du capitalisme et de l’extrême droite, il faut réguler ! Il faut trouver un cadre qui nous prémunissent de la fausse information, du mensonge et de la violence, sans tomber dans la censure à grande échelle et la négation de la liberté d’expression, liberté fondamentale.

Quand j’avais 16 ans et que je suivais mes premières formations d’animatrice au Patro, on nous apprenait fort logiquement à construire des règles et un cadre avec les enfants. Nous les élaborions ensemble en équipe d’animateurs et le principe fondamental était de toujours énoncer le pourquoi de la règle. Pas question d’imposer une règle au groupe d’enfants si celle-ci n’était pas fondée sur des valeurs et un besoin collectif et si ces valeurs n’étaient pas formulées explicitement. Sion ça ne marche pas !

Autrement dit, réguler ce n’est ni censurer, ni faire dictature, c’est mettre un cadre donc des contraintes au nom de valeurs communes et supérieures à l’intérêt individuel.

C’est là qu’une des seules régulations portée actuellement par les libéraux à savoir l’encadrement contraignant des salaires par la loi de 1996 fait erreur : ce n’est pas une règle édictée au nom du bien commun mais une règle qui bénéficie de façon disproportionnée à des intérêts individuels et privés. La volonté de la récente loi anticasseurs, elle, détournait des valeurs communes (le vivre ensemble, la non-violence…) pour affaiblir des acteurs de la société civile (syndicats et associatifs) alors qu’un cadre juridique et contraignant existe déjà pour condamner les violences de notre société. Le droit de manifester et de faire grève n’est pas la liberté de faire n’importe quoi, mais c’est un droit qui régule le rapport de force défavorable aux travailleurs. La CSC et le MOC, soyez en sûrs, continueront de se battre en 2024 pour la liberté de négociation et la liberté de manifester.

Le même besoin de régulation se pose de façon aussi criante sinon plus encore pour la transition écologique nécessaire et urgente. Il nous reste deux ans pour inverser la vapeur avant un dépassement dramatique du niveau moyen de température. Selon la Cour des Comptes Européenne, la crise bancaire de 2008 a coûté 2.600 Mds, la crise sanitaire a coûté 2.200 Mds et « seulement » 1.115 Mds sont nécessaires à la transition écologique pour l’Europe. Qu’est-ce qu’on a foutu ? Comment se fait-il que nous n’en soyons que là ? Où sont les solutions si nous sommes avertis depuis la fin des années 70 ?

De plus, nous avons besoin d’une transition juste. La CSC Charleroi-Sambre et Meuse en a fait le cœur de son Congrès en octobre dernier et a voté de nombreuses lignes de force sur cette question.

Il y a des pistes, des idées et solutions nombreuses qui ne demandent qu’à être mise en œuvre. Poursuivons nos luttes pour une écologie juste et populaire, c’est une responsabilité collective. Là aussi, j’appelle au courage de tou.te.s. Au courage politique pour construire et porter ce besoin de cadre, au courage de la société civile pour montrer l’exemple, au courage des citoyennes et citoyens pour s’engager solidairement dans cette transition.

Enfin, je ne pourrais terminer ce discours sans évoquer le 3ème chemin de notre Congrès : la solidarité internationale. Affirmer sa solidarité internationale, c’est s’opposer à tout centre fermé et militer pour une politique d’accueil digne.

Mais affirmer sa solidarité internationale, cela commence par l’actualité criante, hurlante, je veux parler de la Palestine et de l’Ukraine. Nous soutenons et avons toujours soutenu les peuples dans leurs combats pour la liberté et la justice, pour la paix, pour les valeurs démocratiques. Vie féminine ne fait pas exception à cette tradition en s’impliquant fortement dans ce soutien, notamment à travers des ateliers d’écriture et l’envoi de lettres de soutien aux prisonnières palestiniennes.

Les massacres de ces dernières semaines à Gaza dépassent l’entendement et réclament une intervention forte des Etats. Or, nous tergiversons, nous hésitons, nous nous disputons sur des concepts juridiques, nous prenons notre temps… Un génocide est en cours dans la bande de Gaza, nous savons ce qu’il s’y passe. Et ces hésitations des Etats occidentaux s’exportent dans nos propres collectifs locaux de soutien au peuple palestinien.

Pour deux raisons me semble-t-il : d’une part parce que, en tant que militant.e.s, nous redoutons notre impuissance (après des année de sensibilisation et d’actions) et d’autre part parce que nous nous appuyons justement sur le droit international, c-à-d sur la règle collective.

Que faire quand on se rit de la règle ? Que faire quand des Trump, Poutine, Netanyahou… s’asseyent sur le droit international ou leur propre droit constitutionnel ? En fait, ils sont la négation des fondements de notre démocratie, donc des valeurs et du cadre qui nous permettent de faire société.

Nous retrouvons là la même question du difficile équilibre entre notre attachement à la liberté et notre besoin de régulation. Qui dit règle, dit sanction qui l’accompagne. Comment faire pour ce que des sanctions soient appliquées tout en restant cohérentes avec nos valeurs fondamentales (par exemple, l’interdiction morale de la peine de mort) ?

Comme chaque année, quand on tente de faire un bilan et de se projeter, on se trouve au carrefour des questions du sens : le sens de nos combats, le sens de la vie tout court. Alain Supiot, auteur et juriste français, disait récemment : « Chaque génération naît avec une dette de vie et une créance de sens. Ayant reçu la vie, elle doit la rendre et notamment rendre à celles et ceux qui lui succèdent un monde aussi habitable que celui qu’elle a reçu. Mais venant au monde, elle a aussi une créance de sens, du sens d’un monde qui confère une signification à son existence ».

J’ai appelé de nombreuses fois au courage de tou.te.s ; le mot courage vient du latin, cor qui signifie cœur. Le courage vient directement du cœur, le courage est porté par le sens.

Redonnons du sens au gens, à nos militant.e.s, aux femmes, aux jeunes, à la vie ! Continuons le combat !

Que cette année soit celle où nos revendications aboutissent, où nos efforts portent leurs fruits et où la solidarité rayonne encore plus fort, tous ensemble, en mouvement, renforçons-nous pour construire une société plus juste.

Et je vous invite Vous les militantes et militants ! Vous les bénévoles ! Vous les femmes et hommes politiques ! Vous les travailleuses et travailleurs de l’associatif, des syndicats, des mutuelles ! à vous battre avec nous !

Pour le Mouvement Ouvrier Chrétien de Charleroi-Thuin,

Adeline Baudson